Réduction de la faim dans le monde : résultats du Comité sécurité alimentaire (Rome, 17 - 22 octobre 2011)
1. Les enjeux de la 37e session du CSA 1. Les enjeux de la 37e session du CSA
Les enjeux y étaient importants, car il était prévu d’y adopter les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers et de l’administration des autres ressources naturelles ; d’y discuter de sujets cruciaux pour la sécurité alimentaire mondiale (comme l’instabilité des prix des denrées alimentaires et les investissements favorables aux petits exploitants agricoles), de mettre en œuvre un processus en vue de l’adoption d’un Cadre stratégique global devant fixer les orientations principales du CSA. En outre, deux rapports ayant été publiés par le Groupe d’experts de haut niveau (GEHN) devaient être présentés durant le Comité, dont le contenu renouvelait l’approche jusqu’ici entièrement verrouillée par les visions des acteurs dominants. On noter que les Directives volontaires constituent un enjeu particulièrement stratégique vu l’importance de l’accaparement des terres à grande échelle ; que les Investissements favorables aux petits exploitants agricoles le sont tout autant vu la nécessité de renforcer la production de l’agriculture paysanne pour assurer la sécurité alimentaire ; que la prise en compte de l’instabilité des prix des denrées alimentaires est capitale afin d’assurer aux producteurs des prix suffisants et stables, autre condition pour renforcer la sécurité alimentaire. En outre, le Cadre stratégique global revêt lui aussi une grande importance pour fixer le cadre du dialogue qui sera mené au sein du CSA, même si l’enjeu se situe ici à plus long terme. 2. Des espoirs importants suscités
Le CSA, qui dépend maintenant de plusieurs institutions romaines et non plus de la seule FAO, doit devenir le lieu de dialogue central dans le nécessaire renforcement de la gouvernance agricole mondiale. A ce titre il devrait pouvoir influencer les décisions prises par les autres organisations intergouvernementales et les Etats dans tous les domaines qui affectent la sécurité alimentaire. A cela, il faut ajouter que les nouvelles modalités de fonctionnement permettent aussi aux OSC (au même titre que les organisations intergouvernementales) de participer pleinement aux débats et d’interpeler les gouvernements, même si le vote reste réservé aux Etats (en tant que premiers responsables de la sécurité alimentaire des populations). Parmi les éléments de réforme qui ont suivi la crise des prix alimentaires de 2007-08, la mise en place du nouveau CSA constitue certainement l’élément qui a suscité le plus d’engouement de la part des OSC. Celles-ci estiment en effet que le renforcement de la gouvernance agricole mondiale est en effet crucial pour assurer un développement agricole durable et réduire l’ampleur de la faim dans le monde, qui paradoxalement touche tout particulièrement les ruraux pauvres. Enfin, la réforme du Comité a été accompagnée de la mise en place d’un Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (GEHN), dont certains membres sont proches des OSC (c’est notamment le cas de la Vice-présidente du GEHN, l’Iranienne Maryam Rahmanian). Deux rapports, qui avaient été demandés au Panel par le CSA lors de sa 36e session, ont été produits par le Panel sur des sujets cruciaux, d’une part sur l’instabilité des prix et la sécurité alimentaire ; d’autre part sur les régimes fonciers et investissements internationaux dans l’agriculture. Le fait nouveau avec ces rapports est qu’ils renouvelaient certains aspects de l’analyse, qui jusqu’à présent étaient entièrement verrouillée par les visions de l’OMC, de la Banque Mondiale et des membres du G20. Les conclusions novatrices des rapports publiés avant la session par le GEHN autorisaient dès lors les OSC d’espérer que les débats qu’ils mèneraient avec les gouvernements et les OIG influenceraient positivement les résultats de la 38e session. 3. Le mécanisme de la société civile
C’est à cette fin qu’un mécanisme de la société civile (MSC) a été mis en place, avec la particularité qu’il est composé d’OSC provenant de 11 secteurs ou composantes (constituencies), dont les membres sont principalement des (petits) producteurs et d’autres acteurs impliqués ou concernés par la production d’aliments. On trouve parmi ces composantes les exploitants familiaux, les pêcheurs artisanaux, les éleveurs/pasteurs, les travailleurs agricoles/alimentaires, les peuples indigènes, les femmes, les jeunes, les agriculteurs « sans terre », les pauvres urbains, les consommateurs et les ONG) et de 17 sous-régions du monde. Le MSC est ouvert à tous ses niveaux (y compris au niveau mondial, les groupes de travail et le Forum préparatoire au CSA étant accessibles à tous), mais est piloté par un Comité de coordination au sein duquel se retrouvent des représentants des 11 secteurs (ou composantes) et des 17 sous-régions. Ce Comité est composé de 40 personnes au total. 4. Les préparatifs de la 38e session par les OSC
Si le groupe de travail du CSM sur les Directives volontaires visait à préparer les négociations (qui se voulaient) finales qui devaient se clore au cours de la semaine précédant le CSA, les autres groupes de travail du CSM préparaient les discussions qui allaient se tenir durant le CSA ou après et le fruit de leur travail allait aussi constituer au préalable les inputs pour le Forum mondial que le MSC organisait le WE précédant le CSA, en vue de préparer les positions que la société civile allait défendre au CSA. Les groupes de travail ouverts sont chargés de : Le Forum préalable organisé par les OSC du « mécanisme » autonome de la société civile 5. La gestion du foncier et autres ressources naturelles
Résultats du CSA Les personnes les plus impliquées dans les négociations estiment que cet échec temporaire ne découle pas d’un blocage de certains pays, mais plutôt du fait que la discussion s’est prolongée sur certains aspects (de détail diront certains participants des OSC), ce qui pourrait plutôt témoigner de l’importance que certains pays accordent au texte des Directives. Les OSC se sont réjouies du fait de la participation de la Chine, un protagoniste important des accaparements de terres à grande échelle ; par contre on a regretté la faible participation de l’Afrique francophone en particulier, couvrant pourtant une région particulièrement touchée par l’accaparement de terres à grande échelle. Le consensus croit cependant entre les gouvernements dans certaines régions, notamment pour l’Afrique et le GRULAC (Amérique latine). Les propositions des OSC ont souvent été contrées par des gouvernements. Bien des pays ont soutenu les propositions de l’UE, mais elles comportent pas mal d’éléments manquants. Pour la plupart d’entre eux (excepté les USA et un peu l’UE), les gouvernements négocient en posture de considérer l’impact des accaparements de terres sur leur propre pays. Les gouvernements considèrent généralement que les accaparements de terres sont difficiles à éviter, mais que des législations peuvent fixer des règles. On estime cependant que, pour le moment, les trois quarts des objectifs sont déjà atteints, mais il faut tenir compte du principe affirmant que « tant que tout n’est pas décidé, rien ne l’est », formule également en usage à l’OMC. On a aussi convenu de ne plus réouvrir les discussions sur les sujets pour lesquels un accord a été trouvé. Le président a proposé de poursuivre le travail. Celui-ci, dit-on, pourrait se terminer pour le début de 2012, mais c’est le Bureau qui en décide. Le processus a été positif pour la participation de la société civile. Celle-ci est écoutée, respectée (pas forcément suivie) et les OSC ont une présence forte auprès de leurs gouvernements. Sofia Monsalve (facilitateur du groupe de travail sur les Directives volontaires) est présente dans le groupe dit des amis du président. Parmi les avancées, on évoque la reconnaissance des droits humains, la prise en compte des intérêts des petits producteurs et des peuples autochtones. Parmi les idées importantes acceptées, il y le fait que les marchés ne peuvent nuire ni aux petits producteurs, ni à la sécurité alimentaire, ni à la stabilité sociale. On reconnait qu’il faut éviter les conflits violents et on prend en compte la nécessité de redistribuer en cas d’achats de terres. Enfin, last but not least, un accord existe aussi sur le fait que l’on n’entamerait pas les discussions sur les RAI tant que les négociations sur les Directives volontaires ne soient achevées. Bien que certaines étapes préalables à la discussion pourraient démarrer avant. 6. Les investissements favorables aux petits exploitants agricoles
Notons que la table ronde était organisée en parallèle avec la table ronde sur les questions de genre, de nutrition et de sécurité alimentaire (à laquelle l’auteur de cet article n’a donc pu assister). Les OSC font valoir que la part la plus importante des investissements dans le secteur, en termes de capital et de connaissances, est le fait des petits producteurs d’aliments. Le soutien aux investissements de ces petits acteurs doit aller de pair avec des investissements publics et des politiques publiques en leur faveur. Ils demandent en particulier des investissements publics accrus pour les activités agricoles, pastorales, de pèche artisanale et en faveur des femmes. Ces investissements doivent être basés sur la souveraineté alimentaire ; ils doivent renforcer les systèmes agricoles locaux et durables ; accroître leur résilience ; renforcer les marchés alimentaires locaux et nationaux ; réaliser le droit à l’alimentation et renforcer la sécurité alimentaire. D’autre part, les OSC estiment par contre que les investissements dans l’agriculture à large échelle ne génèrent que peu d’emplois et sont moins efficients dans l’usage des ressources, une position qui est renforcée par des éléments du rapport du GEHN sur les régimes fonciers et investissements internationaux dans l’agriculture (voir le rapport, notamment page 38). Il s’agit dès lors aussi de veiller à protéger les petits producteurs de leur reprise par de grandes entreprises agricoles capitalistes. Les OSC insistent aussi sur le monitoring et la redevabilité et plaident pour que la discussion de cette question stratégique du type d’investissements à réaliser se poursuive et fasse l’objet d’un processus de consultation large et inclusif. On notera que, de façon plus générale, pas mal des préoccupations des OSC avaient été reflétées dans le rapport du GEHN sur ce sujet. Résultats du CSA Elles ont été également au moins partiellement reflétées dans l’encadré des décisions qui a été discuté en plénière du CSA et adopté. 7. L’instabilité (et le niveau) des prix des denrées alimentaires
L’enjeu est de taille pour les producteurs, pour les consommateurs et pour la sécurité alimentaire et l’on avait déjà vu émerger deux options bien différentes en 2010 : pour les uns, il s’agissait de trouver les moyens de coexister avec une volatilité accrue sur les marchés (en prévoyant notamment des filets de sécurité pour les populations à risque) ; pour les autres, il s’agissait de trouver les moyens de limiter la volatilité, notamment en régulant les marchés des produits agricoles (avec des instruments comme les stocks régulateurs ou la gestion de l’offre) ainsi que les marchés de produits dérivés des produits agricoles. Les organisations de la société civile ont été aidées, sur ce débat, par l’étude du Groupe d’experts de haut niveau (GEHN) sur la volatilité des prix, et dans laquelle on peut trouver certaines approches renouvelées par rapport à celles qui ont dominé jusqu’à présent. Le rapport reprend en effet certaines des préoccupations que les OSC partagent avec les organisations de d’exploitants familiaux et autres petits producteurs d’aliments. Si l’étude du PEH estime qu’un marché international plus vaste pourrait contribuer à la sécurité alimentaire en permettant de réduire les tensions sur des marchés nationaux de pays pauvres qui sont aussi sujets à une forte volatilité (liée à des variations de l’offre), l’étude reconnait aussi qu’il est nécessaire, pour les gouvernements de pays pauvres, de disposer de plus de souplesse afin de protéger les producteurs de ces marchés. Ils regrettent par exemple que, dans « un contexte de surproduction structurelle (…) les négociations de l’OMC en matière d’agriculture ont été centrées sur les intérêts des pays exportateurs ». Et préconisent notamment « des mesures de sauvegarde offrant une protection efficace contre les pics d’importations », la « faculté d’augmenter les droits de douane » dans des conditions prédéfinies, ainsi que « la possibilité de protéger les secteurs agricoles qui ne sont pas concernés par les échanges internationaux et qui sont essentiels à la sécurité alimentaire » . Des recommandations intéressantes sont également faites en matière de prévention de la spéculation et de coordination internationale des politiques en matière de constitution de stocks. Résultats du CSA Malgré un important travail de lobbying, qui a voulu rester raisonnable et prudent en la matière et dont l’objectif ultime était qu’au moins les questions de la régulation des marchés et des règles du commerce agricole international puissent rester à l’agenda du CSA, au moins pour tout ce qui concerne les impacts en matière de sécurité alimentaire (d’environnement et de changement climatique), peu de progrès ont pu être enregistrés. Les Etats membres du CSA sont restés accrochés aux conclusions du rapport concurrent à celui du GEHN, produit par 10 organisations internationales, dont certaines sont à la base des politiques menées dans les décennies passé et ont joué un rôle central dans la dérégulation du secteur agricole. Et ils se ont arrimés aux positions (qui seront) prises par le G20, qui privilégient ce rapport. Pourtant, l’espoir était grand que les questions de sécurité alimentaire liées au commerce international et au manque de régulation puissent enfin être au moins discutées dans le cadre du CSA, afin de faire des recommandations aux Etats et aux OIG, en matière de sécurité alimentaire. Depuis plus de 10 ans, c’était en effet un sujet tabou au sein du CSA, les Etats membres estimant que seule l’OMC était compétente en matière de commerce (alors que cette organisation n’a en réalité aucune compétence ni en matière de sécurité alimentaire (ni en matière environnementale). D’autre part, c’est le CSA lui-même qui a demandé au GEHN de produire une étude sur le sujet. Il est dès lors paradoxal que le CSA ne se réfère pas d’une manière plus explicite à ce rapport. D’autant plus que le CSA est composé d’un grand nombre de gouvernements, y compris des pays les plus pauvres, alors que le G20 ne compte que les 20 pays les plus riches du monde. Cet accueil mitigé du rapport de GEHN se marque déjà au niveau de la formule figurant au rapport du CSA, qui se limite à « remercie(r) le Groupe d’experts de haut niveau de ses efforts et de son travail sur l’instabilité des prix et la sécurité alimentaire et prend note de son rapport à ce sujet et des recommandations qui y figurent ». Si les discussions entable ronde ont permis aux OSC -et aux OP en particulier- d’exprimer leurs analyses et leurs positions sur la nécessité de réguler les marchés agricoles (notamment via des réserves alimentaires autres qu’humanitaires) et de revoir les règles du commerce international, ces préoccupations sont par contre restées absentes de l’encadré de décision qui a été intégré au rapport final du CSA. Le débat sur la volatilité des prix en plénière, à l’instar de celui sur les agrocarburants, avait été retardé en fin de session, non pas suite à la violente pluie qui s’est abattue sur Rome au cours du CSA, mais en raison du caractère controversé du sujet. Ce débat s’est donc poursuivi tard en soirée le vendredi 22 octobre, à un moment où bien des OSC avaient déjà quitté Rome (le samedi 23 étant réservé à l’adoption du rapport final). Cependant, devant la difficulté de faire passer certaines de leurs préoccupations, les OSC (encore présentes) impliquées dans le mécanisme de la société civile (MSC) pour les questions de volatilité (groupe de travail dont Thierry Kesteloot assurait la facilitation) ont décidé de quitter la négociation pour exprimer leur déception devant la situation. Un communiqué (CSOs disagree on process of CFS negotiations on food price policy, document à télécharger) a été publié et diffusé le lendemain auprès des représentants de gouvernements, expliquant pourquoi les OSC du mécanisme avaient quitté la salle la veille et exprimant leur déception sur le fait qu’en matière de commerce, aucune de leurs préoccupations n’avait été reprise dans l’encadré de décision, et ce contrairement à ce qui s’était passé pour la discussion des autres sujets. Les OCS y regrettent aussi que le CSA, sur ce sujet, n’avait pas joué son rôle en tant que « Plate-forme internationale et intergouvernementale la plus inclusive » pour assurer la cohérence politique pour les questions de sécurité alimentaire. Elles estiment que l’encadré de décision sur ce sujet ait été écrit d’une manière qui n’aborde pas les causes de l’instabilité et se limite à renforcer le Plan d’action du G20. Elles demandent aussi le respect de l’autonomie du GEHN. 8. Le cadre stratégique mondial pour la sécurité alimentaire et la nutrition
Ce CSM doit être adopté à la prochaine (39e) session du CSA et à ce stade, les débats sont encore centrés sur la poursuite du processus qui doit mener à son adoption. Les objectifs, les principes élémentaires, la structure et les activités proposés pour le CSM ont déjà été discutés et fait l’objet d’une consultation. Il est prévu d’organiser une autre consultation en ligne dans toutes les régions afin d’obtenir les avis d’un large éventail de parties prenantes. Les OSC demandent les garanties afin de mener les consultations de la manière la plus approfondie et inclusive, mais demandent aussi que les thèmes cruciaux débattus au CSA (volatilité des prix, investissements agricoles, genre, sécurité alimentaire et nutrition, etc.) soient pris en compte au niveau du CSM. Elles estiment que le CSM doit rester un document flexible qui capitalise non seulement le consensus politique actuel, mais qu’il doit aussi identifier des questions clés des politiques de sécurité alimentaire et de nutrition qui émergeraient. Pour les consultations à venir sur le CSM, elles insistent afin que les organisations de la société civile soient mieux impliquées et que de nouveaux principes méthodologies soient adoptés. Elles demandent notamment la reconnaissance de l’importance du CSM afin de faciliter la participation des OSC et ONG, de faire participer en priorité ceux qui sont les plus affectés par l’insécurité alimentaire et qui ont moins d’accès à internet. A cette fin, elles demandent notamment que la groupe de travail du MSC sur le CSM puisse organiser une consultation autonome. Sources d’information
http://cso4cfs.org/2010/ titre documents joints
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